26 novembre 2020 in Actualités, Conseil métropolitain 20 novembre 2020, Interventions, Joëlle Hours

Texte de l’intervention de Joëlle Hours sur la délibération sur le Cairn – Conseil métropolitain du 20/11/2020

Texte de l’intervention de Joëlle Hours sur la monnaie locale Le Cairn – Conseil métropolitain du 20/11/2020

  1. Nous voudrions tout d’abord faire une remarque sur le principe même des Monnaies Locales : Le principe de base est louable, il est même légitimé par la loi Hamon de juillet 2014. Le principe d’une monnaie locale consiste concrètement de convenir, entre des acteurs économiques (particuliers, associations, commerçants, artisans, PME…) de l’usage d’une monnaie sur un territoire donné en fonction d’une charte de valeurs à laquelle adhèrent les participants.

L’idée générale étant   d’orienter la consommation des ménages (voire les Consommations Intermédiaires des entreprises) vers des dépenses compatibles avec le respect de l’environnement, de normes sociales ou éthiques élevées, etc. Elle encourage les acteurs économiques à s’engager dans une économie de Proximité. A ce niveau de principe général on ne peut être que d’accord.

D’ailleurs la crise des subprimes en 2007 a été propice aux utopies monétaires. Mais ces utopies, alors même qu’elles visent des objectifs critiques et émancipateurs, véhiculent souvent des confusions.  Des expériences qui sont de grandes diversités. Rien à voir entre l’eusko au pays basque dont l’objectif essentiel était de développer la langue basque, l’euskara et le WIR en Suisse qui est une véritable création de monnaie au sein du système monétaire Suisse. La banque Wir n’est rien d’autre est une banque coopérative.

Bien que ces expériences soient d’une grande diversité, elles reposent fondamentalement sur une incompréhension de ce qu’est la monnaie. Cette incompréhension a deux conséquences. Tout d’abord elle conduit les monnaies locales à apporter de mauvaises réponses là où il y a de vraies questions. De plus, alors que ces expériences de monnaie locale expriment des aspirations légitimes, elles expriment souvent une nostalgie réactionnaire d’un monde sans monnaie.

  1. Concernant le CAIRN : Je tenais tout d’abord à remercier Elisabeth Debeunne d’avoir organisé un groupe de travail qui s’est traduit par une réunion avec l’association Cairn qui porte le projet depuis 2015 et qui a lancé le Cairn en 2017.

 

 

De quoi parle-ton ?

Nous parlons d’une monnaie locale, dont l’association justifie son bon fonctionnement en précisant qu’elle est dans le Top 5 des ML !!

Nom lieu Nbre prestataires Utilisateurs Unités monnaie en circulation
Roue Vaucluse 700 3800    160 510 Roues
Eusko Pays Basque 550 ou 1000 ? 2700 1 200 000 Euskos
Pive Franche Comté 350 1200    100 000 Pives
CAIRN SCOT 330 2500    120 000 Cairns

 

Le top 5 de ces monnaies parle de lui-même. Il montre combien l’impact de ces monnaies est des plus modeste.

Être en 4ème position parce qu’il existe aujourd’hui une association qui fait circuler 120 000 cairns cad l’équivalent de 120 000€. Cette association ayant reçu depuis 2017, chaque année 35 000€ de subventions soit un total de 105 000€ jusqu’en 2019 et  140 000€ avec celle de 2020.

Est-ce un critère de succès ? Permettez-nous d’en douter.

J’ajouterai également que les 2500 utilisateurs du CAIRN sont des militants ou/et des gens convaincus de l’intérêt d’un mode de consommation plus responsable. Je pourrais très bien utiliser des cairn car je fréquente beaucoup les marchés locaux, les circuits courts. Mais ça ne changerait rien à ma consommation cat je suis déjà convaincue de l’intérêt de cette consommation. Le cairn ne touche que des gens convaincus. Il vaudrait mieux faire des campagnes de sensibilisation à un mode de consommation local plus sain plus responsable. Pas besoin de Cairn pour cela.

Au-delà de ces chiffres, la question est de savoir si les objectifs de l’association sont atteints depuis son lancement en 2017. La position de notre groupe est simple et rationnelle. De deux choses l’une : Soit le cairn répond aux 5 objectifs fixés par l’association dans sa charte et dans ce cas il faut continuer à l’encourager en la subventionnant avec les deniers publics de la métropole, soit elle ne répond pas à ses objectifs.

N’ayant pas eu de réponse claire à ma question : Quelle est réellement l’utilité du Cairn ?  je suis allée sur le site internet consulter la charte qui ne nous a pas été donnée lors de notre groupe de travail. A ma grande surprise la charte est d’une extrême brièveté, elle tient en 5 lignes correspondant aux 5 objectifs du Cairn. Nous avons donc étudié ces 5 objectifs.

1er objectif : Favoriser l’activité économique locale de la Région grenobloise

Le périmètre d’action indiquée dans la charte est circonscrit au périmètre de « la région Grenobloise ». Or dans le PPT présenté par l’association Cairn, le périmètre donné était le Scot (750 000 hab, 276 communes) et dans la page d’accueil du site internet le périmètre du Cairn, c’est le Sud Grenoblois. Je trouve que ça ne fait pas très sérieux.

Le Cairn concerne 2500 utilisateurs/750 000 hab = 0,003%) des habitants du SCOT. Est-ce qu’en ayant si peu d’utilisateurs, on peut dire que le Cairn favorise l’activité éco locale ? NON

Pourquoi consommer dans le périmètre du SCOT serait-il plus vertueux que consommer de l’agneau de Sisteron ou du Mont d’or de Franche Comté ? Par contre quand je consomme de l’agneau de Sisteron je trouve ma consommation plus vertueuse que si c’était de l’agneau d’Australie.

Sur le site du Cairn, j’ai surtout compris que vous remettiez en cause un système au centre duquel il y a un mode de consommation, un mode de production et de croissance véhiculé par une monnaie nationale, l’€ représentant ce système. A l’inverse la monnaie locale serait censée véhiculer des valeurs plus éthiques, plus solidaires, plus responsables.

Je site une vidéo du site internet de l’association Cairn  « d’un côté il y a le profit, de l’autre il y a la vie ». Si on n’était pas dépendant de cet argent, on pourrait raisonner sur le fond : nucléaire, environnement…L’argent gouverne notre intelligence et remplace notre conscience. Notre monde n’a pas de sens ». On est dans une logique où la croissance pour la croissance c’est mal, mais la croissance en local avec une monnaie locale, c’est vertueux avec des partenaires qui sont des commerçants locaux, des entreprises locales, des produits bio, des circuits courts…Non à la hausse du PIB au niveau national mais oui à la croissance du PIB au niveau local ! Le PIB national n’est pour autant que la somme de PIB locaux.

J’ai besoin de comprendre :

Si j’achète mes œufs et mes légumes avec des Cairns, à mon producteur local qui est partenaire et qui fait du profit comme tout le monde. J’ai réalisé une consommation locale et responsable en circuit court. C’est bien, j’ai un bon point.

Si j’achète mes œufs et mes légumes à mon producteur sans utiliser des cairns, mais des €, je fais fonctionner le même système de consommation et de production, aussi vertueux. Ma consommation n’en n’est pas moins vertueuse. Pourquoi donc utiliser des cairns ?

Par contre si je vais à la superette « carrefour » du haut Meylan, qui ne peut pas être prestataire Cairn car ne répond pas aux exigences de produits locaux…Pour autant cette superette rend service à de nombreux Meylanais qui ne prennent pas leur voiture, des personnes âgées qui ont s’y retrouvent, il y a du lien social car tout le monde se connait…. Là ma consommation avec des € serait moins responsable moins vertueuse ?  Dans un cas comme dans l’autre on est dans le même système d’échange Cairn ou pas Cairn.

Conclusion : Le Cairn est un outil ni nécessaire ni suffisant pour favoriser l’activité économique locale de la région grenobloise.

2ème objectif : Établir la confiance et encourager l’entraide entre tous les utilisateurs

Je suis totalement d’accord sur le fait que la monnaie doit être intrinsèquement basée sur la confiance, c’est même la condition nécessaire de la survie d’une monnaie.

Mais pourquoi aurait-on plus confiance au CAIRN qu’en l’€ alors même que le Cairn est rattaché à l’€ ?  Le taux de change étant 1 cairn = 1 €. Le cairn n’a de la valeur que parce que l’€ en a. Nous avons de la chance d’avoir une monnaie européenne solide qui tient bon face aux crises qu’elles soient financières des dettes publiques ou sanitaires. Et permettez-moi de  rappeller que l’€ a remplacé le bon vieux franc, le DM, la lire italienne pour favoriser les échanges, supprimer le risque de change…. Nous pouvons être fiers que l’Europe ait su créer une monnaie commune il y a 20 ans et qui a gagné immédiatement la confiance. Et l’€ est une monnaie qui suscite la confiance. Avec le Cairn, j’ai l’impression de refaire l’histoire à l’envers.

Pas de Cairn sans Euro et j’aurais envie de dire pourquoi le cairn puisqu’il y a l’euro ?

Vous dites que l’objectif du Cairn est de favoriser l’entraide, j’avoue avoir des difficultés à trouver des exemples. Si un commerçant désire prendre un prestataire de proximité et responsable, c’est parce qu’il y trouve un intérêt, ça n’est pas par soucis d’entraide. De plus son prestataire plus « responsable », il va le prendre s’il répond à ses besoins, mais il n’a pas besoin d’échanges en Cairn pour cela. Lorsque nous allons faire nos courses en circuit court, localement c’est parce que nous sommes convaincus de son utilité par exemple pour notre santé, c’est pas par souci d’entraide.

Conclusion : La confiance et l’entraide ne sont pas induits par le Cairn.

3ème objectif : Dynamiser l’économie réelle et résister à la spéculation

Ce titre est très évocateur et j’ai l’impression d’une caricature de western avec les bons d’un coté et les méchants de l’autre ! Il y aurait d’un côté la spéculation financière et de l’autre le cairn qui serait M. propre ! Rien que ça : La cairn pour lutter contre la spéculation financière !

Je site encore la vidéo du site internet du cairn pour comprendre la philosophie : « Au niveau collectif, la question de l’argent devait être évacuée puisqu’on peut en créer à l’fini ! ». Et bien non ! l’argent est rare et le temps de l’utilisation de la planche à billets avec la possibilité pour les Etats de créer de la monnaie grâce une banque centrale dépendante est révolu ! La BCE comme la FED sont indépendantes des Etats !

Comment peut-on croire qu’une simple modification de l’objet utilisé pour toute interaction dans le mode de production capitaliste, en l’occurrence une monnaie locale telle que le Cairn soit une solution à la tendance destructrice d’une spéculation financière et d’un certain mode de production et de consommation ?

De plus il est frappant de constater que, depuis 2008, ces monnaies locales se développent peu, alors que l’UE traverse une véritable décennie perdue. L’Allemagne, qui a connu un démarrage spectaculaire de ces ML au début des années 2000, a connu aussi un essoufflement et a aujourd’hui moins de monnaies locales en circulation qu’en 2008. En France, une trentaine de monnaies a été mise en circulation en six ans. Or, si les monnaies locales étaient la bonne réponse à la frilosité des banques dans le financement de l’économie, c’est à partir de 2008 qu’elles auraient dû se développer. A partir de cette date les banques se sont montrées encore plus frileuses pour accorder des crédits aux PME ou petits commerces fragiles.

De façon plus générale, les collectifs militants qui sont insatisfaits de l’ordre des choses devraient plutôt se questionner sur la financiarisation de l’économie. Depuis le début des années 1980, les innovations financières, l’internationalisation des banques, les flux internationaux de capitaux s’accroissent de façon spectaculaire. C’est cette internationalisation qui s’est  traduite par des crises financières récurrentes dont la plus spectaculaire est la crise des subprimes de 2007.

Conclusion : Pour répondre à ces problèmes il faut renforcer la règlementation bancaire, il faut lutter contre les paradis fiscaux, il faut règlementer davantage les mouvements de capitaux, etc.  Aucun de ces problèmes ne se traite au niveau local.

Aujourd’hui, le niveau pertinent de régulation du système bancaire et financier est le niveau national, européen et même mondial, mais pas le niveau local.

C’est cela le vrai combat et de toute évidence  le CAIRN n’est pas la bonne arme.

4ème objectif : Soutenir la transition énergétique et respecter l’environnement

Agir local est nécessaire. Dès 1987, le rapport Brundtland signalait déjà ce point essentiel selon lequel les populations, à leur niveau, doivent pouvoir contribuer à la définition des solutions qui concernent leurs problèmes.  Le principe de l’Agenda 21 défini lors du Sommet de Rio en  1992 allait dans ce sens. Ce sont les collectivités territoriales, communes, départements, régions qui ont mis en place l’Agenda 21.

Pour soutenir la transition énergétique, le CAIRN n’est pas l’outil adapté. En revanche, je trouve que nous avons un outil efficace qui fait ses preuves et qui ne fait que monter en compétence pour accompagner les communes dans la transition énergétique, c’est l’ADEM.

Conclusion : Oui mettons des moyens dans la transition énergétique mais pas avec le Cairn. Augmentons les moyens de l’ADEM qui est un excellent outil.

5ème objectif : Permettre au citoyen de s’impliquer dans la gouvernance de sa monnaie

Qu’il y ait une aspiration citoyenne à l’échelle locale pour transformer les échanges économiques quotidiens est tout à fait louable. Mais que la réponse soit dans la création d’une monnaie locale reste très utopique et de surcroit demande une mobilisation d’énormément d’énergie de la part des militants qui la porte.

L’association Cairn compte 60 bénévoles, 2 et depuis peu 3 salariés qui portent à bout de bras le Cairn avec beaucoup de convictions et de bonnes intentions pour une efficacité faible qui reste essentiellement au stade de la sensibilisation à un autre mode de consommation.

Laisser croire que le CAIRN peut être un vecteur de moins d’exclusion, de relocalisation, de plus de solidarité et de moins d’inégalités est une mystification qui détourne des vrais enjeux politiques.  Nous voyons bien aujourd’hui que les commerçants qui ont leurs portes fermées, les entreprises qui tourent au ralenti c’est un véritable drame économique et social, avec un chômage qui va s’accélérer dans les prochains mois. La véritable solidarité qui permet de faire reculer la pauvreté, le chômage, c’est de créer plus de valeur (par le travail) et de modifier le partage de la valeur en faveur des plus démunis.

Ce dont nos commerçants, TPE, PME ont besoin ça n’est pas de Cairns. Ils ont que jamais ont besoin de trésorerie, de capitaux alors que les banques restent très frileuses. Les banques qui accordent des crédits sont souvent  frileuses et pas assez ouvertes aux innovations sociales. Elles ont aussi tendance à prêter davantage aux riches qu’aux pauvres. Tout cela est bien connu et depuis fort longtemps. C’est pour cela qu’ont été crées les caisses de crédit coopératif, de crédit mutuel et les caisses d’épargne. Ces banques coopératives et mutualistes sont un acteur important de l’Economie sociale et solidaire.

D’ailleurs un des arguments de l’association est qu’elle a un fond de garantie de 80 000 €. Fond qui échappe selon ses dires « aux paradis fiscaux » car ces fonds sont placés sur des comptes ou livrets de la Société financière de la NEF ou du crédit coopératif. Très bien.

Conclusion : La question qui se pose est plutôt : Alors que les banques coopératives et mutualistes existent et qu’elles sont puissantes, pourquoi serait-il nécessaire de poursuivre les mêmes objectifs qu’elles, en créant un CAIRN ? Tout un chacun peut placer son argent dans des banques coopératives pas besoin de cairn pour cela.

Conclusion pour la délibération :

Le cairn comme les autres monnaies locales a des objectifs louables mais qu’il parvienne à ce pourquoi il est destiné, ça c’est une autre affaire ! le CAIRN est une fausse bonne idée !

35 0000€ de subventions pour développer une économie plus sociale, plus solidaire et plus soucieuse de l’environnement : OUI.

Mais 35 0000€ de subventions pour faire vivre le Cairn comme outil de l’ESS : NON

Le cairn comme toutes les monnaies locales ne contribue qu’à dose homéopathique au développement local, même s’il contribue, comme toute activité associative, au développement du lien social. Force est de constater qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux qu’il affiche. Si les ménages, les commerçants, les entreprises y avaient un intérêt évident, le CAIRN et les autres monnaies ne végéteraient pas.

 

Notre groupe fait par contre une proposition :

Toutes les actions de l’association qui visent à soutenir une activité et des projets locaux dans un esprit d’économie solidaire, durable, respectueuse de l’environnement sont louables mais n’ont pas besoin du CAIRN pour se déployer. Autrement dit : Les intentions sont bonnes et elles doivent être portées et soutenues par la métropole, en revanche l’outil monétaire qu’est le Cairn n’est pas le bon.

Nous proposons que la métropole soit force de proposition et de dialogue en développant un vrai partenariat avec les banques coopératives dont nous avons parlé pour aider des projets à utilité sociale, écologique et/ou culturelle soutenus par des associations, des commerçants et de TPE ou PME qui rencontrent de vrais problèmes d’accès au crédit.